Nous vivons une époque de doute terrible et d’opportunités immenses. Instinctivement, nous sentons tous que quelque chose de grand se trame, mais malgré les certitudes contradictoires des uns et des autres, nous sommes bien en peine de prédire quoi. Impossible même de se mettre d’accord sur ce qu’il est en train de se passer.

Une métaphore qui me vient souvent en ce moment est celle de la naissance : la naissance d’un monde nouveau.

Une naissance, ça commence bien avant l’accouchement. En fait, un enfant commence lorsque les gamètes des deux sexes se fécondent.

Mais alors à quand remonte la fécondation du nouveau monde qui tente de voir le jour ?

J’aime voir dans les années 60 le début de quelque chose de nouveau : l’Occident termine sa course vers l’Ouest, la Californie est au cœur de l’innovation, fer de lance de la culture, elle fait face à l’océan Pacifique qui met fin à sa course vers le soleil couchant. De l’autre côté c’est justement le pays du Soleil Levant. C’est à cette époque-là que la culture occidentale rencontre, et commence à intégrer la culture orientale. Les échanges ne sont pas nouveaux entre l’Europe et les Etats-Unis d’un côté, et la Chine et le Japon de l’autre. Après la 2ème Guerre Mondiale, les Etats-Unis imposent leur hégémonie culturelle sur presque toute l’Asie, notamment au Japon. Et dans les années 60 ce sont les maîtres de la pensée orientale qui voyagent et inséminent, à proprement parlé, la pensée occidentale moderne. On pourra noter à ce sujet le professeur D.T. Suzuki, un grand maître Bouddhiste Zen, qui est traduit en anglais, et est accueilli en Californie, entre autres, par Alan Watts & Aldous Huxley. Les disciples Californiens du grand Maître Japonais assimilent sa sagesse et la disséminent dans la culture New Age naissante à travers la révolution psychédélique dont ils sont certaines des têtes pensantes. Pendant que l’orient fusionne avec l’occident, les hommes entrent en contact avec leur énergie féminine (ils laissent pousser leurs cheveux, apprennent à ressentir et exprimer leurs émotions, sortent du rang), et les femmes s’émancipent. Les structures de pouvoir (le patriarcat notamment) sont remises en cause, les mouvements écologistes commencent à donner de la voix. On pourrait voir dans cette période historique une assimilation radicale des polarités, comme y invite d’ailleurs le principe fondamental de non dualité si cher au bouddhisme. C’est aussi dans les années 60 que nous parviennent les premiers clichés de la Terre vue de l’espace et que s’impose à notre espèce la prise de conscience que nous sommes tous Un, sur une planète finie que nous partageons avec le reste du vivant. L’intuition de Paul Valéry (1937) que « le temps du monde fini commence » va désormais s’imposer aux masses. Voilà selon moi comment les multiples chocs des années 60 ont joué le rôle de fécondation du nouveau monde, en plantant dans nos psychés les graines d’un nouveau paradigme.

Nous sommes depuis cette époque, depuis plus d’un demi-siècle, en gestation. Les graines plantées dans nos esprits grandissent, se multiplient, se confrontent à notre système opérationnel et le modifient de l’intérieur, provoquant assimilations et résistances.

Fin de la gestation et accouchement

Depuis quelques années, il semble que le ‘travail’ commence. L’accouchement approche, l’Impossible arrive pour reprendre les termes du Professeur Stanislas Grof, spécialiste des états modifiés de conscience et père de la matrices périnatales fondamentales (MPF).

Selon lui, en MPF 1, l’enfant à naître est dans un état fusionnel océanique avec sa maman. Tout baigne pourrait-on dire, ce qui correspond largement à l’insouciance qui a caractérisé le monde jusqu’à récemment, même face aux secousses. Et puis on passe au stade MPF 2 : Quand l’accouchement se déclenche, avec les premières contractions, le col n’est pas encore ouvert. Le bébé se sent complètement coincé, prisonnier (confiné ?!). On a l’impression qu’il n’y a aucune issue, que cette situation de blocage et de souffrance va s’éterniser, que c’est sans espoir. Cette phase est très éprouvante, tant pour le bébé que pour la mère. C’est, il me semble, là où nous en sommes. Certains refusent encore de voir que c’est un accouchement, nient la souffrance et/ou ses causes ; les autres qui souhaitent cette naissance, ont peur de ne pas y arriver.

Ma femme a mis plus de 27 heures à accoucher de notre premier fils : un accouchement naturel à la maison qui a plusieurs fois éprouvé sa détermination, et semer des doutes dans notre capacité à le mener à son terme.

Aujourd’hui nous sommes des millions à reconnaitre que les crises sanitaires, socio-économiques et environnementales sont en réalités des aspects d’une crise spirituelle : celle de l’accouchement d’un nouveau monde. Mais l’accouchement est difficile et douloureux : les confinements, les freins, les blocages, une situation qui s’éternise, la tentation de faire appel à la médecine pour masquer la douleur (vaccination/péridurale ou naissance et immunité naturelle ?). L’ancien monde résiste, fait barrage, s’efforce de tout bloquer, fermer, contrôler. Il ne veut pas de ce nouveau monde qui va, naturellement, le rendre obsolète…

Conclusion

« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » Victor Hugo

Aldous Huxley affirmait qu’il faut 4 générations entre l’insémination d’une idée dans l’esprit du peuple et son acceptation comme étant ‘normale’ par la masse. Si la fécondation remonte aux années 60 comme je le prétends, il nous reste encore quelques décennies de luttes douloureuses pour que le nouveau monde dont nous rêvons voit le jour. Mais au final, comme le prétend Victor Hugo, rien ne peut arrêter la naissance de ce nouveau monde. Pas plus qu’on ne peut empêcher un enfant de naître ; pas plus qu’on ne peut empêcher une chenille de devenir papillon. Le cocon est une phase effrayante pour la chenille qui se dissout littéralement, et n’a alors aucune idée de ce qui lui arrive et de ce qu’elle va devenir. La naissance est un moment effrayant pour le bébé qui se fait expulser du bain de bien-être absolu qu’il a toujours connu et dans lequel tous ses besoins étaient satisfaits. Nous sommes aujourd’hui dans cette phase effrayante de dissolution : perte des repères, lutte contre notre propre immunité, multiplication à outrance des vérités contradictoires, perte de lien et déconnection (de soi, des autres, de la nature), peur de ne pas savoir ce qui nous attend.

Même si les temps à venir risquent d’être difficiles et douloureux, gardons à l’esprit cette image naturelle de la naissance d’un nouveau monde car elle peut nous aider, je l’espère, à traverser les turbulences à venir et à garder espoir que l’accompagner est ce que nous pouvons faire de plus utile.